Poundémonium
Traduction de Julián Ríos et Denis Fernandez-Récatala.
Poundemonium (1989) appartient au cycle romanesque de Larva (paru en 1995) tout comme les nouveaux volumes que Ríospibliera ultérieurement Belles Lettres et Auto de Fénix.
Trois éléments ont nourri ce récit à multiples facettes : le sens rythmique du langage – ce qu’Ezra Pound nomme la Melopea, la musique des mots –, la prolifération visuelle des images et la danse des idées entre les mots. Poundemonium, c’est la capitale imaginaire de l’enfer, c’est aussi Londres, le Londres de l’époque de Pound enchâssé dans celui de cette année 1972 où se déroule le récit.
L’homme aux mille noms de Larva, Emil Alia, alias Milalias, et ses deux compagnons, Rimbaudelaire et Reynaldo Rey, ayant appris la mort d’Ezra Pound, il Miglior Fabbro, vont accomplir une ronde de nuit en cette Toussaint de 1972, en même temps qu’une veillée funèbre, hantés par le spectre du défunt poète. Et d’une certaine façon, Poundemonium est une histoire de fantômes. Mais ce pèlerinage initiatique et voyage ivre au bout d’une nuit des défunts où des personnages déambulent, trinquant et flânant dans tant de lieux poundiens, se révèle aussi une quête de la lumière (« Est-ce Râ Pound ? Est-ce Râ ? » est un des leitmotivs ou « lightmotives… »), de l’illumination érotique, le but du voyage devenant presque mystique – et mythique « mythémorphose ».
Comme l’a signalé le critique espagnol Rafael Conte : « Poundemonium est un ardent, humoristique, philosophique, festif et charnel hommage au grand Ezra Pound… Et tout cela sans solennité, avec un humour explosif, des aventures sans nombre qui détruisent toutes sortes de rhétoriques et où, à la fin, il ne reste qu’une chose : la littérature. Une véritable littérature qui, comme telle, se lit avec un infini plaisir. »
Las des romans écrits dans la langue morte des naturalismes fin de siècle, Ríos évoque un « Merlinguiste » enchanteur à la virtuosité diabolique. Son jeu avec les mots aurait pu perdre en français de sa magie, mais il n’en est rien : la traduction magistrale n’est plus trahison mais plasticité inouïe, babélienne ; Ríos pratique aussi avec son traducteur le « harcèlement textuel », son intervention assurant ainsi de nouvelles ressources à la traduction. Il nous en avait averti : « Le langage du roman moderne doit dépasser les frontières des langues et des nations, s’immerger dans une langue créatrice sans jamais renoncer à la narration. »