Monstruaire

Traduction de Geneviève Duchêne.

Janvier 1998

250 pages

Ibériques

978-2-7143-0650-0

18.55 €

« À présent je ne sais pas si je suis la Momie ou l’homme invisible, articula Mons péniblement à travers ses bandages, et nous avons ri, soulagés de penser qu’avec la bonne humeur il recouvrait aussi la raison. » Ainsi commence Monstruaire et la série d’énigmes qui jalonnent la vie et l’œuvre singulières et intimement liées de Victor Mons, peintre de monstres et plus monstrueux qu’eux encore, d’après sa propre définition, telle que nous la dévoile et parfois même la recrée hypothétiquement son ami et biographe Emil Alia, personnage du cycle de Larva, qui apparaît également en tant que narrateur dans le dernier roman de Julián Ríos Belles Lettres.

Dans ce nouveau récit, le narrateur suit les aventures de Mons (parfois érotiques, quand il tente d’explorer un Mons Veneris, c’est ainsi que s’intitule l’une de ses œuvres d’inspiration autobiographique) sur les pas et faux pas du peintre errant, par Mons et par vaux…, tantôt en accompagnant en témoin, tantôt en confident et même détective, depuis des nuits peuplées de monstres d’un Berlin transfiguré en ville irréelle, jusqu’à ces nuits communicantes de tous les excès d’une ville nocturne aux différents noms : New York, Paris, Madrid, Londres…

Roman mobile et multiple, dans lequel confluent les divers personnages, modèles, collectionneurs, galéristes, artistes qui croisèrent Mons, Monstruaire peut aussi être lu comme une collection d’histoires autonomes : celle de l’architecte qui voulait déconstruire une ville réelle pour en bâtir d’imaginaires, celle de l’émule de Van Gogh qui voulait peindre une tauromachie à Berlin, celle du sculpteur amoureux qui découvrit que Cézanne finit en Anne, celle du professeur nord-américain spécialiste de Joyce en visite à Paris qui ne sait si les messages qu’il reçoit de l’au-delà sont de Joyce ou bien de sa femme morte un an auparavant, également nommée Joyce ; celle de la collectionneuse errante qui ne pouvait vivre que dans des chambres d’hôtels qu’elle devait abandonner dès qu’elle les avait remplies jusqu’au plafond de ses nouvelles acquisitions, celle de l’homme étrange qui demanda à être peint sur le ventre et l’estomac d’une femme voilée qui demeura debout et nue.

Julián Ríos

Voici l’un des très grands écrivains contemporains de langue espagnole.

Julián Ríos (Galice, 1941) dirige des collections littéraires, appartient au conseil de rédaction de plusieurs revues et collabore, comme narrateur et essayiste, à de nombreuses publications européennes et américaines. D’abord salué par ses pairs, Octavio Páz, Carlos Fuentes, Juan Goytisolo, G. Gabrera Infante…, il est désormais reconnu internationalement. La très vénérable Encyclopaedia Britannica le définit déjà comme un classique postmoderne : “Sans doute la prose espagnole la plus tumultueusement originale du siècle”. Par l’audace, l’ambition et la diversité de sa démarche, “Ríos Grande”, comme le nommait The Guardian de Londres, se rapproche en effet moins de ses contemporains espagnols que de certains glorieux prédécesseurs : la trinité fondatrice qu’il revendique, Rabelais, Cervantès, Sterne, ainsi que d’autres grands joueurs de notre modernité, Pound, Pessoa, Calvino, Schmidt, Pérec ou Joyce dont il est un grand connaisseur.

Romancier, essayiste et critique d’art, Julián Ríos s’est d’abord fait connaître en 1973 par Solo a dos voces, cosigné avec Octavio Paz (traduit chez Ramsay en 1991). À partir de cette date, il a travaillé à son roman-fleuve ou “novela-ríos”, Larva, un cycle de fictions autonomes bien que communicantes. La sortie du premier titre du cycle, Larva, Babel d’une nuit de la Saint-Jean (1984), un volumineux volume de 600 pages, constitua un événement majeur salué par de grands écrivains de différents pays et reconnu par la critique internationale, depuis El País, de Madrid (“L’entreprise narrative la plus explosive, démesurée et ambitieuse des dernières décades”) ou Quimera, de Barcelone (“Exploit narratif et linguistique qui découvre de nouveaux territoires à la langue espagnole”) jusqu’au Frankfurter Algemeine Zeitung (“Année après année,  Julián Ríos construit un roman monumental, Larva, seulement comparable dans son ambition à l’œuvre de James Joyce.”) ; depuis The Observer, de Londres (“Un étonnant hommage à ses semblables, Rabelais, Sterne et spécialement Joyce.”) ou le Japan Times, de Tokyo (“Le plus grand événement culturel de l’ère postfranquiste.”) jusqu’au Choice, de New York (“Ríos prolonge les techniques narratives des Mille et une nuits, Laurence Sterne, James Joyce”), et d’autres publications américaines qui ont salué la traduction de Larva. À cette occasion, The San Francisco Chronicle écrit : “L’un des livres les plus splendides et intelligemment novateurs depuis que Leopold Bloom vagabonda dans les rues de Dublin, une pomme de terre dans la poche.”

Au moment de la sortie très attendue de Larva en Espagne, Libération reconnaissait : “L’une des grandes aventures postmodernes de l’écriture. Une langue castillane haute comme une tour de Babel.” Et à la question “Pourquoi écrivez-vous ?, posée par le même journal à des écrivains du monde entier, Ríos répondait : “Pour moi, écrire, c’est escrivivir. Je crois que ce mot-valise qui contient et fusionne écrire (escribir) et vivre (vivir), et qui a été inventé par le personnage principal de mon roman Larva, permet de donner une explication personnelle de ma raison d’écrire. Ce qui est sûr, c’est qu’écrire est pour moi un art de vivre, plus vrai que nature, une manière de vivre plus intensément.”

Depuis lors, cet illusionniste des mots a multiplié les défis. Son œuvre protéique forme des cycles empruntant chacun des chemins très différents. Chez lui alternent en effet œuvres de pure fiction et de critique-fiction, ou encore “romans peints”. La complicité créatrice qu’il entretient avec des peintres de diverses nationalités (Roy Lichtenstein, Antonio Saura, Eduardo Arroyo, R.B. Kitaj…) s’est faite verbe et  images, dans plusieurs œuvres, dont Ulysse illustré (1991) réalisé en collaboration avec le peintre Eduardo Arroyo. Nous proposons de découvrir en 1994 Poundemonium et Chapeaux pour Alice, en 1995 Larva et La vie sexuelle des mots, en 1996 Album de Babel, puis en 1998 Monstruaire et Portraits d’Antonio Saura.

Comme le soulignait Jean-Gabriel Cosculluela dans La Main de Singe : “Avec Julián Ríos, le territoire de la langue n’est plus sourd aux autres langues ; son écriture, d’une extrême intensité, propose une mosaïque de mots cassants la solitude et les limites de la langue, une mise en jeu totale où de part en part la prodigieuse intelligence du texte est traversée par un rire où résonnent ceux de Joyce, Guimarães Rosa et Arno Schmidt. Sans pour autant jamais renoncer à la narration, à l’exemple de Calvino.” Et l’auteur précisait récemment dans une interview : “Ma contrainte majeure, c’est l’histoire que je dois raconter. Je préfère sacrifier n’importe quel jeu de mots : l’histoire ne doit jamais se perdre, même sous sa forme anecdotique. Celle-ci doit toujours tenir sous l’explosion verbale. C’est pourquoi il faut, comme une écuyère, chevaucher deux chevaux à la fois, le cheval de l’anecdote, de l’histoire qui doit courir à travers les pages, et le cheval de la langue, qui fait avancer l’histoire.” En savoir plus.