Poésie complète
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Yves di Manno
À la fin des années 1920, George Oppen rencontre Charles Reznikoff et Louis Zukofsky, avec lesquels il fonde la confrérie secrète des « objectivistes », dans le sillage d’Ezra Pound et de William Carlos Williams. Avec Mary, la compagne de sa vie, il s’établit près de Toulon en 1930. C’est en France que seront d’abord imprimés les livres de l’Objectivist Press, avant le retour à New York et la publication de son premier recueil : Discrete Series, en 1934. L’année suivante, Oppen adhère au Parti communiste américain et cesse d’écrire pour se consacrer à ses activités militantes. Après la guerre, victimes de la répression maccarthyste, George et Mary Oppen sont contraints de s’exiler au Mexique, où ils vivront jusqu’à la fin des années 1950. C’est là qu’Oppen renoue avec l’écriture, après vingt-cinq ans de silence.
« Je garde de cette lecture inaugurale un souvenir ébloui. Cette œuvre était d’une concision et d’une densité exemplaires. Et elle s’accompagnait d’une exigence d’écriture que les derniers poèmes poussaient à l’extrême, en démembrant la syntaxe et les vers pour mieux en souligner le vacillement central, l’absence de certitude et l’avancée inquiète, obstinée, parallèle, vers des territoires qui avaient toutes les apparences d’un nouveau monde prosodique. »
Yves di Manno.
Presse et librairies
Osons la subjectivité : pour moi, le poète le plus bouleversant de sa génération. Entendons-nous bien : cela n’a rien à voir avec la biographie si singulière et, en soi, émouvante d’Oppen, il s’agit bien de la réalité même de ses vers, de ses poèmes, de ses recueils en leur construction rigoureuse. Cette humanité, sans recours à des béquilles philosophiques, théologiques – absorbant tout cela en sa poétique – s’incarnent en vers savants, en émouvantes descriptions du monde toujours renouvelées par sa conception prosodique, ses récurrences sémantiques, le rapport entre le mot comme matériau et le réel obsédant, les interrogations, les révoltes mêmes…
Philippe Blanchon, Poezibao, 31 octobre 2011Si est répété obstinément la relation profonde du poème à la réalité, jusque dans le dernier texte publié en 1980 (« Poésie du sens des mots / Nouée à l’univers », p. 327), est aussi régulièrement souligné l’écart entre ce qui est, ce qui est regardé et l’écrit. La poésie s’élabore à partir de cette hésitation entre l’évidence apparente et l’inexplicable. Dire seulement «cela est» rencontre d’ailleurs l’incompréhension : « Il y avait un homme qui ne comprenait pas, parce je disais des choses simples ; pour lui, c’était comme si je n’avais rien dit. Je disais : il y a une montagne, un lac ».
Tristan Hordé, Europe, avril 2012Clarté – celle d’Oppen – est donc précisément le fait de ne pas se laisser entamer par l’analyse, de résister au commentaire, d’appeler au silence, en s’imposant comme s’impose un nom : « Clarté // Dans le sens de transparence, /Je ne dis pas que grand-chose soit explicable. // Clarté dans le sens de silence. »
Marta Krol, Le Matricule des Anges n°129, janvier 2012Oppen cherche […] à rendre compte d’un réel qu’il a choisi d’expérimenter, dans sa vie, en homme de la mer, ouvrier, soldat, et qu’il aborde, dans son œuvre, avec le respect de la spécificité des objets et de la valeur des mots, de préférence les plus simples. Pour autant, la pensée qui l’anime est complexe, et ne se lit qu’au travers d’« assertions suivies de réfutations, d’affirmations reposant sur une double négation, de questions sans réponses, d’observations directes côtoyant des déclara- tions gnomiques dont la beauté perdure parce qu’on ne les comprend jamais entièrement » (suivant les mots de la bonne introduction à Poésie complète).
Claude Grimal, La Quinzaine littéraire, N° 1051, décembre 2011Toute son œuvre porte la marque de cette véritable ascèse existentielle, appliquée à lui-même, sans état d’âme particulier. Au nœud de son écriture, cette injonction :
Nous devons parler désormais. Je ne suis plus très sûr des mots,
L’horlogerie du monde.
Les poèmes d’Oppen donnent une sensation de clarté, d’étrange calme, où le détail conduit lentement dans le sentiment d’être à l’intérieur des choses, sentiment favorisé par le retrait du « je » observateur […].
Jean-Pascal Dubost, Poezibao