Perrudja
Traduit de l'allemand par Jean-Claude Marcadé et Reinhold Werner
Perrudja est le premier roman de Hans Henny Jahnn ; il fut publié en 1929 et, du vivant de Jahnn, légèrement revu par lui, une seconde fois en 1958.
À l’opposé de l’autre grande œuvre en prose, la trilogie Fleuve sans rives, Perrudja n’est pas une histoire à tracé linéaire, il est composé autour d’un « non-héros », Perrudja, qui se retire dans la solitude des montagnes norvégiennes avec sa jument Shabdez comme seule compagnie.
Ce sont les éléments implacables de la nature qui lui imposent le contact social et physique avec l’Autre et, à partir de là, avec les autres.
Lui, dont les origines sont entourées de mystère, se trouve alors confronté avec son miroir qui se peuple d’une femme désirée, Signe, du frère de celle-ci, Hein, du fiancé de celle-ci, Thorstein Hoyer, le rival, avec qui il se livre à un « duel » à mort, et de l’Anglais Grigg qui lui révèle qui il est l’homme le plus riche du monde.
Tel est le début du roman qu’éclairent et expliquent des divagations dans les mythologies orientales, qui, loin de briser sa trame, lui donnent une infinité d’échos et de résonances.
Jahnn, en grand bâtisseur, module ce fleuve épique autour de ses thèmes favoris qui représentent autant d’antagonismes, entre destructions et reproductions, entre désir hétérosexuel et homosexuel, entre l’homme et l’animal, entre l’un et son double, entre pulsion meurtrière et élan créateur.
Avec Berlin, Alexanderplatz de Döblin et L’Homme sans qualités de Musil, Perrudja de Jahnn est un des chefs-d’œuvre qui ont consacré la modernité littéraire en langue allemande. Le style égale, sur fond nordique, les audaces de l’Irlandais Joyce. Quant à la vision d’un monde capitaliste avancé, il est l’anticipation du Citizen Kane de Welles, miroir de ses hallucinations, de ses souvenirs, de ses lectures, de ses utopies, plein de bruit et de fureur.
Presse et librairies
On entre dans ce livre comme dans un paysage de lande et de granit sous un ciel sombre fracturé d’étoiles. Soit on résiste, on s’écorche, soit on décide de tenter la traversée an abandonnant la boussole et autres instruments familiers de repérage critique pour accepter de se perdre, regimbant, pestant, admirant, pour finalement se laisser emporter par le flot débordant d’un ouvrage qui ne ressemble à aucun autre.
Pierre Deshusses, Le Monde, 10 novembre 1995Alors les mots concrets, terrestres, pleins de sucs, la haute fantaisie inventive et irrespectueuse qui font la richesse de Perrudja, méritent doublement notre attention, notre temps, notre admiration sans réserve.
Nicole Casanova, La Quinzaine Littéraire, 15/31 octobre 95Perrudja est le type même du roman expérimental épique, un peu délirant, qui tel un fleuve en crue emporte tout sur son passage.
Marcel Schneider, Le Figaro Littéraire, 2 novembre 1995C’est un livre traversé par le désir de changer la vie. Oui, un livre qui semble issu de la paternité lointaine de Rimbaud.
Lionel Richard, Le Magazine Littéraire, février 1996La langue de Jahnn, riche, merveilleusement riche, chaotique, incantatoire, arrache à chaque passage des lambeaux de chair, ébranle les fondements de l’ordre humain, force les portes du savoir à coups de poings. Roman expérimental, Perrudja tente de reconquérir par la force triomphante du langage ce monde putréfié […].
Philippe Savary, Le Matricule des Anges n°14, 1995Masculin-féminin, homme-animal, âme-chair, l’écrivain et facteur d’orgues allemand Hans Henny Jahnn, mort en 1959, a voulu déborder toutes les frontières. Il y est arrivé pour son malheur.
Mathieu Lindon, Libération, 28 septembre 1995