Fleuves qui s’en vont

Traduction de Claude Couffon.

Janvier 1990

120 pages

Ibériques

978-2-7143-0402-5

11.6 €

Les poèmes de Juan Ramón Jiménez qui suivent, écrit à partir de 1947, mais principalement de 1951 à 1954, ont pour constantes la sublimation de l’amour, le bonheur fragile, et surtout la mort et ce mystère : l’au-delà. Le titre du recueil, emprunté à un vers célèbre de Jorge Manrique, la suggère avec force. Certes, le thème n’est pas nouveau dans l’expression lyrique de Juan Ramón. Il correspondait à une terreur morbide née durant l’enfance, alors que fils heureux et choyé de riches viticulteurs, il perdit son père de mort subite, en 1900. Les conséquences furent un mal pulmonaire qui le conduisit durant cinq ans de sanatorium en sanatorium. La névrose d’une “mort imaginaire” est présente dès les premiers recueils et l’obséda toute sa vie, constituant l’un des pôles de sa poésie.

Mais ce qui avait été longtemps “imaginaire” devint avec les deuils ou leur menace et l’approche réelle de l’expérience entre le centre cruel de la recherche poétique. Pour cet homme qui n’avait vécu que pour et par la poésie, la mort ne devenait pas seulement une interrogation angoissée sur le destin d’un corps – le sien et celui des êtres chers – mais aussi sur l’avenir d’une œuvre élaborée avec soin, écrite patiemment, avec un regard extérieur et un regard intérieur sans cesse en éveil, comme une justification que l’on voudrait totale et indestructible de la vie.

Et pour se rassurer peut-être, le poète conçoit parfois que la mort, compagne de la vie, disparaît avec sa victime, et que c’est elle qui meurt vraiment, l’être humain renaissant, lui, dans les racines de la terre.

Le doute, avec sa petite lueur d’espoir clignotant de temps en temps dans l’obscurité du devenir, allait faire naître un livre qui est l’un des derniers chaînons d’une œuvre que son authenticité et les dons exceptionnels de son auteur placent au plus haut de la poésie universelle moderne.

Juan Ramón Jiménez

Juan Jamón Jiménez (Espagnol, Maguer, Huelva, 23 décembre 1881 – Porto Rico, 29 mai 1958) :

"Écrire n’est qu’une préparation pour ne plus écrire, pour l’état de grâce poétique, intellectuel ou sensitif. Devenir soi-même poésie, non plus poète.« J. R. Jiménez.

Extrait de La Poésie nue de Juan Ramón Jiménez par Patrick Kéchichian, Le Monde, 18 août 1989 :

De dix-huit ans l’aîné de Lorca et de six ans le cadet de son ami Machado, Juan Jamón Jiménez est né en décembre 1881 à Moguer, [“la blanche merveille”] petite ville andalouse de la province de Huelva. Son entrée dans l’âge adulte est marquée par la mort subite du père – le poète a dix-neuf ans.

De ce deuil, il conservera sa vie durant une extrême fragilité, un tempérament angoissé et mélancolique, prompt au retrait et à l’isolement. En ces premières années du siècle cependant, Jiménez déploie une activité créatrice intense qui ne tarde pas à faire de lui l’un des écrivains les plus en vue de la capitale espagnole. Helios, la revue qu’il fonde en 1903, défend l’esthétique moderniste, illustrée notemment par Rubén Darío. En 1916, il se marie à New York avec Zenobia et revient à Madrid.

Son œuvre arrive à maturité : de l’idéal romantique, d’une certaine outrance égotiste et décadente – Lorca parle de la “terrible exaltation de son moi – elle s’élève peu à peu vers l’espace plus aéré de la “poesia desnuda”.

Moins radicalement engagé que Lorca, rêvant d’une troisième force, Jimenez s’exile néanmoins en 1936. Les États-Unis, Cuba, Porto-Rico enfin, où le couple s’installe définitivement en 1951. En 1956, deux ans avant sa mort, il reçoit la consécration du prix Nobel. Mais l’agonie de Zenobia, qui mourra trois jours après cette attribution, transforme sa joie en tristesse profonde.

À propos de Jiménez :

“Il y a deux maîtres : Antonio Machado et Juan Jamón Jiménez […] Le second, grand poète troublé par une terrible exaltation de son moi, écorché par la réalité qui l’environne, incroyablement déchiré par des riens, à l’aguet du moindre bruit, véritable ennemi de son exceptionnelle et merveilleuse âme de poète.”

Federico Garcia Lorca

“Jiménez perçoit pour la première fois, et peut-être pour la dernièe, le silence insignifiant de la nature, où les paroles humaines ne sont qu’un peu d’air et de bruit.”

Octavio Paz

“Beauté et éternité se conjuguent, vivantes et plus grandes toujours, dans toute sa poésie, sûrement comme en nul autre poète des meilleures époques de la poésie.”

German Bleiberg En savoir plus.

Presse et librairies

Maturité, maîtrise du langage poétique, n’altèrent ni n’apaisent l’élan premier, d’autant plus intact qu’il s’épure, trouve sa juste tonalité.


Patrick Kéchichian, Le Monde, 21 décembre 1990