Archives des bons morceaux

Traduction de Claire Cayron.

Septembre 2001

192 pages

Ibériques

978-2-7143-0757-6

17.8 €

Ces 21 récits et nouvelles, à dessein présentés dans l’ordre chronologique de leur écriture, ajoutent encore à l’étrangeté qui se dégage de l’ensemble de l’œuvre de Harry Laus. Une étrangeté sans rapport avec un quelconque exotisme tropical, issue de la vie même de l’auteur et de ses expériences d’enfant et d’adolescent, alimentée par un regard d’adulte qui se porte toujours sur l’insolite, la marge, l’écart, la faille, le manque.

Déjà orphelin de mère, Harry Laus est tôt confronté à la déchéance et à la mort d’un père mis à l’écart (La Visite), puis à la panique dans le milieu inconnu où il a été transplanté (La Clef). Il découvre les hésitations de sa sexualité (Prélude, L’Adolescent). Et l’on assiste simultanément à la naissance puis à l’installation du sentiment de culpabilité (La Procession, Le Voyage, La Cage). Un sentiment qui a progressivement envahi l’autobiographie et la fiction, au point de devenir l’un des fils conducteurs de l’ensemble de l’œuvre, où le débat de(s) conscience(s) est maintes fois structurel.

Devenu Cadet, puis militaire de carrière, Harry Laus expérimente notamment la dépersonnalisation (Perspective, En ligne droite) et la brutalité (Le Ministre). Un lieu à l’atmosphère un peu fantastique lui sert de refuge : c’est Le Joyau – un étrange bijou de nouvelle, où l’on peut lire aussi l’éveil de la sensibilité de l’auteur aux arts plastiques.

Les nouvelles de la maturité et de la vieillesse appellent le même adjectif : étrange, étrange, étrange… Étrangeté des personnages : le Docker fragile, le Rameur déçu, l’adolescent fasciné par le chiffre 3 de Caixa d’Aço, le bellâtre archivé, la Maria-ballast, du nom de son lieu d’exercice, la vieille ingénue de Cambirela. Étrangeté des situations et des comportements : l’inceste en intention Comme toujours, le choix de La Première balle, la disparition restée Sans réponse.

En fin de vie, c’est le recours à l’imaginaire et le bilan de L’Avant-dernière décennie du siècle devenu dernier. Jusqu’au bout, l’exotisme n’est pas l’affaire de Harry Laus.

Claire Cayron

Harry Laus

Harry Laus, né en 1923 à Tijucas au Brésil, a mené une vie complexe, entre son service militaire, sa carrière de critique d’art et de directeur de musée, avant de se consacrer pleinement à l’écriture. Marqué par son homosexualité dans un contexte militaire conservateur, ses œuvres littéraires mêlent expériences personnelles et questionnements profonds.

Présentation de Claire Cayron :

“Il a chanté, ri, fait la fête, souffert, pleuré, aimé, il a vécu”. Cette affirmation de l’universitaire brésilienne Zahidé Lupinacci Muzart aurait pu servir d’épitaphe à Harry Laus, s’il n’avait déjà choisi la sienne, issue de son Journal absurde : “Ne pas se borner à accepter la vie, mais l’endurer, l’interpréter, la conduire vers une fin qui la justifie en totalité”. Et la vie de Harry Laus a été des plus complexes.

Il est né à Tijucas, une petite ville de l’État de Santa Catarina, au sud du Brésil, dans une famille d’origine allemande dont les premiers représentants étaient arrivés de Prusse en 1847. Orphelin de mère à l’âge de 6 ans, il était le 14e d’une fratrie de 16 enfants issus des trois mariages de son père. La très modeste situation familiale l’a conduit dans l’armée dès l’âge de 17 ans. Il en est sorti avec le grade de lieutenant-colonel, à l’occasion du coup d’État de 1964, après une carrière tourmentée et périlleuse, en raison des différentes formes de son inadaptation au milieu militaire.

L’une d’elle est la vocation littéraire qu’il a revendiquée dès 1947, et développée confidentiellement jusqu’en 1953 où, sous un pseudonyme, il a été couronné pour un essai sur l’œuvre de Ibsen. Durant ces années, de caserne en caserne, il s’est formé intellectuellement dans la plus grande solitude, et souvent le plus grand inconfort, avec un acharnement parfois désespéré, dont témoignent les premières années de son Journal absurde, commencé à l’École militaire.

L’autre motif d’inadaptation était son homosexualité. Dans son dernier ouvrage, le roman Les Jardins du Colonel, on peut lire : “Au cours de sa carrière, il avait parfois relâché la vigilance qu’il exerçait sur lui-même, et la continence forcée avait explosé ici ou là. La dissimulation alors se lézardait, l’obligeant à abandonner les déguisements qui travestissaient sa personnalité, au point de ne plus se reconnaître lui-même”. Le Journal absurde, encore inédit au Brésil dans sa version intégrale, rend compte, entre autres témoignages, des risques et périls encourus.

“Jamais je n’ai rencontré personne qui eût moins la vocation militaire que ce garçon de Santa Catarina, civil par nature et par conviction, né pour vivre libre et bohême, non pour marcher au pas”, a écrit Jorge Amado dans une préface. Cependant, la vie militaire a aussi nourri l’œuvre de Harry Laus plusieurs de ses 55 nouvelles y ont trouvé leur cadre et leur sujet.

Au bout d’une dizaine d’années d’intense activité littéraire, Harry Laus a saisi l’occasion, à partir de 1962, de développer son goût pour les arts plastiques, en devenant successivement chargé de la rubrique correspondante dans divers quotidiens de Rio de Janeiro, notamment le Jornal do Brasil puis de la revue Veja, en relation étroite avec son amie la galériste Ceres Franco. Membre de l’Association Brésilienne et Internationale des critiques d’art, il a participé en 1971 et 1972 au jury de la Biennale de São Paulo.

Il s’est retiré à partir de 1976 dans son État natal, où il a dirigé le musée de Joinville puis le M.A.S.C. (Museo de Arte de Santa Catarina). À ce poste, il a promu et rédigé le catalogue des artistes plasticiens catarinenses. La poursuite de son Journal, trois romans, un recueil de nouvelles sur le sujet de “l’amour banni” et un “documentaire autobiographique” marquent également cette dernière période de sa vie.

Une attention mélancolique à la fragilité humaine, fruit de la multiplicité de ses expériences de vie, l’exigence formelle de simplicité, et la sensibilité visuelle trace de son autre vocation artistique, caractérisent l’écriture de Harry Laus. En savoir plus.

Presse et librairies

Les nouvelles d’Harry Laus semblent parcourues par les ondes troubles du passé et les promesses discrètes d’une révélation future, offerte par l’art ou les paysages. L’une d’elle s’intitule Le joyau : un titre que mériterait chacun des textes de Laus, dont la délicatesse un peu cruelle rappelle souvent la grâce un peu amère de Rilke. C’est assez rare, et vraiment beau.

Fabrice Gabriel, Les Inrockuptibles, 13 novembre 2001

Harry Laus, poète égaré parmi les militaires, a su prouver, en France grâce au travail obstiné de Claire Cayron, la dimension d’une œuvre remarquable de finesse psychologique, d’intensité émotionnelle, de recherche stylistique.

René de Ceccatty, Le Brésil sensuel et secret de Harry Laus, Le Monde des livres, 17 janvier 2001