Sentinelles du néant

Traduction de Claire Cayron.

Janvier 1998

136 pages

Ibériques

978-2-7143-0629-6

13.9 €

Publié conjointement avec Bis, ce recueil inaugure la publication complète de l’œuvre de Harry Laus (Brésilien, 1922–1992), aux éditions Corti.

Un écrivain hanté par la question de son utilité et de sa liberté, revit à sa façon l’histoire de Blanchette, la chèvre de Monsieur Seguin.

Un employé de bureau obsédé par le projet humanitaire d’arrêter le Temps, se tue à reproduire le paradoxe du philosophe d’Élée.

La population d’un village côtier du Far South brésilien, visitée par une apparition, affronte le phénomène dans la naïveté, le délire, la fuite ou la stratégie. Et seul le mystère est gagnant.

Harry Laus, écrivain, critique d’art, et militaire jusqu’au coup d’État de 1964, a écrit ces trois nouvelles réunissant quelques insomniaques de l’absolu à des périodes cruciales de sa vie : Les réveils de Zénon des Plaies est, en 1957, sa première publication, sous l’uniforme de capitaine de l’armée brésilienne ; Sentinelle du néant accompagne, en 1991, un diagnostic fatal ; Le Saint magique est la réécriture compulsive, dans le mois précédant la mort de l’auteur en 1992, d’un ouvrage antérieur de dix ans.

Claire Cayron

Harry Laus

Harry Laus, né en 1923 à Tijucas au Brésil, a mené une vie complexe, entre son service militaire, sa carrière de critique d’art et de directeur de musée, avant de se consacrer pleinement à l’écriture. Marqué par son homosexualité dans un contexte militaire conservateur, ses œuvres littéraires mêlent expériences personnelles et questionnements profonds.

Présentation de Claire Cayron :

“Il a chanté, ri, fait la fête, souffert, pleuré, aimé, il a vécu”. Cette affirmation de l’universitaire brésilienne Zahidé Lupinacci Muzart aurait pu servir d’épitaphe à Harry Laus, s’il n’avait déjà choisi la sienne, issue de son Journal absurde : “Ne pas se borner à accepter la vie, mais l’endurer, l’interpréter, la conduire vers une fin qui la justifie en totalité”. Et la vie de Harry Laus a été des plus complexes.

Il est né à Tijucas, une petite ville de l’État de Santa Catarina, au sud du Brésil, dans une famille d’origine allemande dont les premiers représentants étaient arrivés de Prusse en 1847. Orphelin de mère à l’âge de 6 ans, il était le 14e d’une fratrie de 16 enfants issus des trois mariages de son père. La très modeste situation familiale l’a conduit dans l’armée dès l’âge de 17 ans. Il en est sorti avec le grade de lieutenant-colonel, à l’occasion du coup d’État de 1964, après une carrière tourmentée et périlleuse, en raison des différentes formes de son inadaptation au milieu militaire.

L’une d’elle est la vocation littéraire qu’il a revendiquée dès 1947, et développée confidentiellement jusqu’en 1953 où, sous un pseudonyme, il a été couronné pour un essai sur l’œuvre de Ibsen. Durant ces années, de caserne en caserne, il s’est formé intellectuellement dans la plus grande solitude, et souvent le plus grand inconfort, avec un acharnement parfois désespéré, dont témoignent les premières années de son Journal absurde, commencé à l’École militaire.

L’autre motif d’inadaptation était son homosexualité. Dans son dernier ouvrage, le roman Les Jardins du Colonel, on peut lire : “Au cours de sa carrière, il avait parfois relâché la vigilance qu’il exerçait sur lui-même, et la continence forcée avait explosé ici ou là. La dissimulation alors se lézardait, l’obligeant à abandonner les déguisements qui travestissaient sa personnalité, au point de ne plus se reconnaître lui-même”. Le Journal absurde, encore inédit au Brésil dans sa version intégrale, rend compte, entre autres témoignages, des risques et périls encourus.

“Jamais je n’ai rencontré personne qui eût moins la vocation militaire que ce garçon de Santa Catarina, civil par nature et par conviction, né pour vivre libre et bohême, non pour marcher au pas”, a écrit Jorge Amado dans une préface. Cependant, la vie militaire a aussi nourri l’œuvre de Harry Laus plusieurs de ses 55 nouvelles y ont trouvé leur cadre et leur sujet.

Au bout d’une dizaine d’années d’intense activité littéraire, Harry Laus a saisi l’occasion, à partir de 1962, de développer son goût pour les arts plastiques, en devenant successivement chargé de la rubrique correspondante dans divers quotidiens de Rio de Janeiro, notamment le Jornal do Brasil puis de la revue Veja, en relation étroite avec son amie la galériste Ceres Franco. Membre de l’Association Brésilienne et Internationale des critiques d’art, il a participé en 1971 et 1972 au jury de la Biennale de São Paulo.

Il s’est retiré à partir de 1976 dans son État natal, où il a dirigé le musée de Joinville puis le M.A.S.C. (Museo de Arte de Santa Catarina). À ce poste, il a promu et rédigé le catalogue des artistes plasticiens catarinenses. La poursuite de son Journal, trois romans, un recueil de nouvelles sur le sujet de “l’amour banni” et un “documentaire autobiographique” marquent également cette dernière période de sa vie.

Une attention mélancolique à la fragilité humaine, fruit de la multiplicité de ses expériences de vie, l’exigence formelle de simplicité, et la sensibilité visuelle trace de son autre vocation artistique, caractérisent l’écriture de Harry Laus. En savoir plus.

Presse et librairies

Qu’est-ce que l’intériorité ? semble se demander Harry Laus. Qu’est-ce que la stimulation solitaire de l’écriture, que vient troubler la précision du fantasme ? Le vide, la page blanche, le silence absolu hantent l’écrivain que l’on sent menacé par une sorte de mutisme angoissé. Harry Laus choisit le camp des narrateurs poètes, plutôt que celui des raconteurs d’histoires. Il est du côté des Sandro Penna, des Umberto Saba, des Valéry Larbaud.

René de Ceccaty, À quoi servent les larmes, Le Monde des Livres, 20 mars 1998

Dans les interstices du réel, Harry Laus trouve sournoisement des folies, des absurdités, des farces. [C’est] un mathématicien du hasard, un scrupuleux de l’étrange, un manique du dérangement, de la folie progressive, de l’autre monde qui se déverse à grands flots sur celui-ci. Quand les écrivains du Brésil dansent et chantent, puisque c’est ainsi qu’on les montre, Harry Laus, ironique, monte la garde. Sentinelle du néant.
Manuel Carcassone, Harry Laus, Un Maniaque de l’étrange, Le Figaro, 19 mars 1998

Manuel Carcassone, Harry Laus, Un Maniaque de l’étrange, Le Figaro, 19 mars 1998

Avec la sortie de deux recueils de nouvelles, les éditions Corti entament la publication des œuvres complètes d’Harry Laus, écrivain brésilien atypique, mort en 1992. Deux premiers pans nous sont dévoilés.
Ils en disent long sur l’originalité et la diversité d’un travail, qui comme l’écrit Claire Cayron la traductrice, « porte la marque du nomadisme ». Harry Laus a sillonné de nombreuses régions du Brésil, écrit ses textes « partout et n’importe où ». Militaire jusqu’en 1964, puis critique d’art, directeur de musée, son œuvre semble construite à l’image de cette vie errante. Laus excelle dans la description de lieux sans attaches. Ce n’importe où, c’est un port, un village, une rue, parfois une simple maison. Le génie de l’écrivain consiste à transformer ce n’importe où en partout. Il lui insuffle la dimension de l’universel.

Benoît Broyart, Le Matricule des Anges, juin-juillet 1998