Variations sur l’oiseau et le filet
Traduit de l'espagnol par Jacques Ancet
Poursuivant dans la voie inaugurée par La Pierre et le centre (Corti, 1991), Variations sur l’oiseau et le filet de José Angel Valente propose au lecteur une suite de réflexions qui, de Léonard de Vinci à Edmond Jabès en passant par les traditions mystiques juive, arabe et chrétienne, tendent une fois de plus à établir qu’expérience poétique, expérience érotique et expérience mystique n’en sont, au fond, qu’une seule. Le langage poétique, « parole de la limite, du bord ou de l’imminence », relève d’une double métaphore: celle de l’oiseau et celle du filet, toutes deux présentes dans la tradition islamique : vol par-delà, vers le sans-nom qu’elle désigne, cette parole - cette « langue des oiseau », comme l’appellent les poètes arabes - est aussi un intense travail de tissage où l’ici et l’ailleurs, le visible et l’invisible, les ténèbres et la lumière, le savoir et le non-savoir viennent se nouer indissolublement. Le filet, nous rappelle Valente, est au cœur d’une très vieille histoire.
Je posai ma tête, dit le narrateur, sur mon oreiller et me mis à composer mentalement quelques vers (…). Soudain Abdala de Morón m’éveilla et (…) me dit : « Tu ne dors pas. Ce que tu fais, c’est composer une poésie (…) ! » Je levai alors la tête et lui dis: « Et d’où sors-tu ça ? » Il me répondit : « C’est que je t’ai vu en rêve nouer un filet ».
Quant à l’oiseau - la colombe en l’occurrence -, c’est Jean de la Croix qui lui assigne les trois propriétés suivantes : « Le vol haut et léger; l’amour dont elle brûle ; la simplicité qui est la sienne ». « Propriétés de la colombe ou de la parole », se (nous) demande alors Valente.
Presse et librairies
Valente se situe dans une tradition où confluent poésie et mystique, comme le réaffirment les onze brefs essais des variations. Loin de toute obédience d’ordre confessionnel, la réflexion s’attache à saisir les principales convergences qui réunissent ces deux expériences des limites ultimes du langage, puisque par nature la parole du mystique postule l’impossible en une pure tension où elle apparaît, se consumant ou se dissolvant « dans l’éclat ou la transparence de son apparition »: « parole de la limite, du bord ou de l’imminence ». c’est dans cette postulation que Valente reconnaît la parole poétique, qui reçoit pour emblèmes deux métaphores, celle de l’oiseau et celle du filet, issues de la tradition islamique.
Laurence Breysse-Chanet, La Quinzaine littéraire, 1/15 mai 1997