Rua

Traduction de Claire Cayron.

Janvier 1997

192 pages

Ibériques

978-2-7143-0600-5

18.55 €

Rua est un cas singulier de contexte urbain dans l’œuvre de Miguel Torga : un condensé de rues de gros bourg et de ville moyenne de la province portugaise, lieux de la vie doublée, du médecin et de l’écrivain.

S’y pressent en foule commerçants prospères et retors, artisans ou camelots besogneux et parfois romanesques, femmes douloureuses et jeunes filles sacrifices, petits employés exploités en mal de reconnaissance sociale et d’amour ; mais aussi l’émigrant de retour au pays et porteur d’un passé mystérieux, le colonel glouton, l’agent de police mis à la retraite, la Leonor dite Bourlinguée, pécheresse sentimentale et rangée. Le médecin, bien sûr, témoin des drames et des joies ; enfin empêcheur de routine à la Pension Centrale, le poète ou l’artiste.

Principaux ici, secondaires là, ces personn(ag)es créent un monde, à la Torga. Et l’auteur invente, en 1942, le roman en fragments, d’une Rue.

Miguel Torga

Miguel Torga – Portugais (12 août 1907 - 17 janvier 1995), par Claire Cayron, sa traductrice :

Miguel Torga, de son vrai nom Adolfo Correia Rocha, est né au village de São Martinho de Anta, où il a été mis en terre, “au milieu du paysage qui a emmailloté ma naissance et ensevelira ma fin”, comme il l’avait écrit dès 1952 : celui de son “royaume merveilleux”, la pauvre et secrète province de Trás-os-Montes, au nord-est du Portugal.

Se revendiquant ibérique, il avait choisi, en littérature, de se prénommer Miguel par admiration pour deux grands espagnols (Cervantès et Unamuno) et d’être Torga du nom d’une bruyère de sa montagne transmontana, austère et résistante. Sous l’identité d’Adolfo Correia Rocha, il était médecin ORL à Coimbra.

En décembre 1978, par décision du Conseil des Ministres et de l’Assemblée de la République, le Portugal rendait un hommage national à Miguel Torga, pour le cinquantenaire de sa vie littéraire. Elle avait commencé en 1928 à l’âge de 21 ans, par la publication d’un recueil de poèmes, Ansiedade, et s’est poursuivie jusqu’aux derniers mois de la longue vie de l’auteur : le Diário XVI s’achève en décembre 1993. “Un véritable créateur, fut-il Dieu, ne se repose pas le septième jour”, avait écrit Miguel Torga en 1962, en conclusion à des soupçons sur la sincérité de l’auteur de La Genèse….

Si vous vous promenez aujourd’hui dans les librairies de Lisbonne, de Coimbra, de Porto, vous remarquerez, alignés sur les étagères, une cinquantaine de volumes, tous semblables, “édités dans le même papier terne, le même format, le même caractère et jusqu’à la même maquette de couverture, chaque volume revêtu de la même pauvre bure du précédent” : l’œuvre auto-éditée de Miguel Torga. Une collection devenue déjà un objet bibliophilique, l’œuvre ayant été confiée, depuis la mort de l’écrivain, aux Publicações Dom Quixote à Lisbonne.

Miguel Torga est devenu classique de son vivant, en raison de la portée, de la diversité et de l’originalité de son œuvre, à l’image de l’un de ses aphorismes : “L’universel, c’est le local moins les murs”. Ce sont 94 nouvelles, 2 romans et le grand récit romanesque de sa “création du monde”, les 16 volumes du Journal, 3 pièces de théâtre, 2 volumes d’essais et conférences, 15 recueils poétiques et les 700 poèmes inclus dans l’édition originale du Journal. Depuis longtemps, des “fadistes” chantent Miguel Torga, plusieurs de ses ouvrages ont été mis en onde, en scène et en images, et chacun a été régulièrement attendu et commenté, voire guetté, sous le régime de Salazar que cette œuvre subversive indisposait particulièrement. Aussi a-t-elle valu à Miguel Torga de connaître l’arsenal complet des exactions politico-policières : arrestation, emprisonnement, saisies, privation de passeport, mise sous surveillance. Mais écrivait-il plaisamment après une saisie : “La police, avec sa méfiance professionnelle à l’égard de la vérité, me dit si je suis sur la bonne voie ou non” Et de récidiver, en apostrophant ainsi le dictateur : “Le vainqueur sera celui qui a le meilleur souffle” – ce fut lui.

De son premier ouvrage, aujourd’hui retiré du commerce, Miguel Torga, n’a conservé qu’un seul vers, dans une anthologie de son œuvre poétique : “J’ai peur de l’avers ”. Les dernières lignes de son Journal constatent : “A quelque chose devraient me servir mes cicatrices d’inlassable défenseur de l’amour, de la vérité et de la liberté, triade bénie justifiant le passage en ce monde de n’importe quel être humain”.

La critique a réservé un accueil constamment attentif à son édition française : “Miguel Torga est un écrivain dont la prose, nourrie par les âges et burinée par les expériences, brûle sur son passage tout ce que la littérature contient de sophismes, de fourberies, de couardises et d’artifices”, a notamment écrit Jérôme Garcin. En savoir plus.

Presse et librairies

Tragiques, urbaines, balzaciennes ou stendhaliennes, les treize nouvelles du recueil de Miguel Torga, Rua, sont toutes différentes, et pourtant, elles ne pourraient composer qu’une seule et même histoire, à l’image d’une comédie humaine.

Virginie Gatti, Humanité Dimanche, 17 avril 1997

Rua est l’un des rares exemples d’écrits sur la ville dans l’œuvre de Torga. Ici, comme lorsqu’il prête sa voix au monde rural, l’auteur s’attache à de petites gens pour nous donner à voir et à entendre la mosaïque bariolée et bruyante d’une rue populaire de Lisbonne.

Maïa Bouteillet, Le Matricule des Anges, Juillet/Août 1997