Portugal

144 pages

Domaine français

978-2-7143-0575-6

15.45 €

La première édition de Portugal de Miguel Torga a paru à Coimbra en 1950.
L’ouvrage avait germé dans l’esprit de l’auteur dès le retour du voyage en Espagne, France et Italie – objet du “Quatrième Jour” de La Création du Monde qui devait lui valoir d’être emprisonné pour sa charge contre le fascisme. Dès ce voyage, Miguel Torga avait écarté l’exil et choisi le retour dans sa patrie – “lucidement considérée comme le champ sacré de l’amour et de l’épreuve” –, dont il prévoyait qu’il ne pourrait plus sortir avant longtemps. Grand marcheur, il entreprit alors d’explorer son pays, en vue d’élaborer “un Portugal curieux, bien à [lui], appris par tous les sens et compris dans toutes ses dimensions”. Du nord au sud, du Minho à l’Algarve, en un itinéraire indépendant de découpages administratifs sans signification, Miguel Torga, avec “une érudition acquise par les pieds”, nous livre sa vision du “bariolage de la couverture lusitaine”. De chaque morceau, il veut “déchiffrer les énigmes et concevoir les symboles”. Trás-Os-Montes, où l’on entre en traversant un désert de pierres, est un “Royaume merveilleux” ; les îles Berlengas sont “une flotte alignée et aventureuse cheminant vers l’inconnu” et annonçant le destin maritime de la nation ; l’Estremadura, séculaire terre d’élection des créateurs, devrait être “un parc national pour la préservation du lyrisme portugais” ; le costume traditionnel du campino fournit l’allégorie du Ribatejo : “une ceinture écarlate et fougueuse à la taille du Portugal” ; les figuiers nains de l’Algarve, “où aucun Judas ne pourrait se pendre de remords”, le désignent comme un paradis.
L’auteur qui ne sait, au long de ce cheminement, s’il est “vaincu par la signification allégorique ou envoûté par la réalité”, écrit ainsi une “invention du Portugal” (selon la belle formule d’un critique) qui est, en quelque sorte, la part ambulatoire et visionnaire de sa création du monde.
Dans un élan d’ardeur inquiète, mal résigné aux mauvais coups de l’Histoire, grâce à l’énergie d’un verbe restaurateur, Torga recrée le Portugal. Invention d’un pays, comme d’un trésor, d’un monde (…) Torga, marcheur infatigable, tire gloire d’une «  érudition acquise par les pieds  »! Et l’une des grandes beautés de ce livre est bien ce cheminement, sensuel et savant, du Minho à l’Algarve, traversée nord-sud au cours de laquelle l’écrivain se dépouille des richesses qu’il inventorie – qu’il invente – jusqu’au bain lustral dans la précieuse lumière de l’Algarve, «  caressant avec la même tendresse le bon et le mauvais, le périssable et l’impérissable  ».
Jean-Marie Planes, Sud-Ouest, 14 février 1988.
Voyage intérieur à la recherche de ce qu’il faut bien appeler l’âme d’une nation, exercice de brillante rhétorique, poème d’amour brûlant et emphatique, Portugal (livre déjà ancien, 1950), est étrangement intemporel (…) Guide enflammé, saturé de culture et d’histoire, magicien qui connaît le secret des noms et des lieux, Torga invite le lecteur à partager sa propre ferveur. Il le conduit, toujours aussi sûr de son chemin, de «  l’immuabilité psychologique  » de Porto ou de Coimbra à cette «  fleur de pierre et de lumière  » qu’est Évora, en passant par l’Alentejo, province qui a «  l’ampleur d’un rêve infini et la réalité d’un sol épuisé  ».
Patrick Kéchichian, Le Monde, 12 février 1988.
La géographie n’est ici que sentimentale. Les noms de lieux chantent et se répondent. Ils dessinent ensemble une carte du tendre, et le miracle s’accomplit : dans ces pages superbes, d’un lyrisme et d’une sensualité troublants, passe l’ombre d’une éternité. S’il emporte Torga dans ses bagages, le voyageur d’aujourd’hui ne sera pas dépaysé dans sa découverte réelle du Portugal. Ce parcours du cœur, parcours de l’âme, dépasse les contingences et les apparences pour nous livrer l’essentiel, l’intemporel.
Michèle Gazier, Télérama, 16 mars 1988.
Portugal témoigne de cet attachement-déchirement à un sol. Une sorte de radiographie profonde, à la fois géographique et ethnologique, littéraire et artistique, née des pérégrinations incessantes de l’écrivain du nord au sud du pays (…) Livre d’un «  insatiable géophage, qui a besoin journellement de quelques kilomètres de nourriture  », Portugal est aussi celui de quelqu’un «  qui se cherche là où il s’est perdu  » : «  Moi, je me suis perdu en Portugal et c’est en lui que je me cherche  ».
Antoine de Gaudemar, Libération, 11 février 1988.
Tout amoureux du Portugal et de son terroir encore préservé comme par miracle, admirera ce livre plein de passion, mis en français par Claire Cayron avec un mimétisme stupéfiant. Ce qui nous est dit là, nous ne le trouverons dans aucun guide, aucun manuel ne saura nous le montrer. La langue d’un poète y vibre dans tout son éclat.
Jacques Fressard, Les Langues néo-latines, 1° trim. 1989.

Miguel Torga

Miguel Torga – Portugais (12 août 1907 - 17 janvier 1995), par Claire Cayron, sa traductrice :

Miguel Torga, de son vrai nom Adolfo Correia Rocha, est né au village de São Martinho de Anta, où il a été mis en terre, “au milieu du paysage qui a emmailloté ma naissance et ensevelira ma fin”, comme il l’avait écrit dès 1952 : celui de son “royaume merveilleux”, la pauvre et secrète province de Trás-os-Montes, au nord-est du Portugal.

Se revendiquant ibérique, il avait choisi, en littérature, de se prénommer Miguel par admiration pour deux grands espagnols (Cervantès et Unamuno) et d’être Torga du nom d’une bruyère de sa montagne transmontana, austère et résistante. Sous l’identité d’Adolfo Correia Rocha, il était médecin ORL à Coimbra.

En décembre 1978, par décision du Conseil des Ministres et de l’Assemblée de la République, le Portugal rendait un hommage national à Miguel Torga, pour le cinquantenaire de sa vie littéraire. Elle avait commencé en 1928 à l’âge de 21 ans, par la publication d’un recueil de poèmes, Ansiedade, et s’est poursuivie jusqu’aux derniers mois de la longue vie de l’auteur : le Diário XVI s’achève en décembre 1993. “Un véritable créateur, fut-il Dieu, ne se repose pas le septième jour”, avait écrit Miguel Torga en 1962, en conclusion à des soupçons sur la sincérité de l’auteur de La Genèse….

Si vous vous promenez aujourd’hui dans les librairies de Lisbonne, de Coimbra, de Porto, vous remarquerez, alignés sur les étagères, une cinquantaine de volumes, tous semblables, “édités dans le même papier terne, le même format, le même caractère et jusqu’à la même maquette de couverture, chaque volume revêtu de la même pauvre bure du précédent” : l’œuvre auto-éditée de Miguel Torga. Une collection devenue déjà un objet bibliophilique, l’œuvre ayant été confiée, depuis la mort de l’écrivain, aux Publicações Dom Quixote à Lisbonne.

Miguel Torga est devenu classique de son vivant, en raison de la portée, de la diversité et de l’originalité de son œuvre, à l’image de l’un de ses aphorismes : “L’universel, c’est le local moins les murs”. Ce sont 94 nouvelles, 2 romans et le grand récit romanesque de sa “création du monde”, les 16 volumes du Journal, 3 pièces de théâtre, 2 volumes d’essais et conférences, 15 recueils poétiques et les 700 poèmes inclus dans l’édition originale du Journal. Depuis longtemps, des “fadistes” chantent Miguel Torga, plusieurs de ses ouvrages ont été mis en onde, en scène et en images, et chacun a été régulièrement attendu et commenté, voire guetté, sous le régime de Salazar que cette œuvre subversive indisposait particulièrement. Aussi a-t-elle valu à Miguel Torga de connaître l’arsenal complet des exactions politico-policières : arrestation, emprisonnement, saisies, privation de passeport, mise sous surveillance. Mais écrivait-il plaisamment après une saisie : “La police, avec sa méfiance professionnelle à l’égard de la vérité, me dit si je suis sur la bonne voie ou non” Et de récidiver, en apostrophant ainsi le dictateur : “Le vainqueur sera celui qui a le meilleur souffle” – ce fut lui.

De son premier ouvrage, aujourd’hui retiré du commerce, Miguel Torga, n’a conservé qu’un seul vers, dans une anthologie de son œuvre poétique : “J’ai peur de l’avers ”. Les dernières lignes de son Journal constatent : “A quelque chose devraient me servir mes cicatrices d’inlassable défenseur de l’amour, de la vérité et de la liberté, triade bénie justifiant le passage en ce monde de n’importe quel être humain”.

La critique a réservé un accueil constamment attentif à son édition française : “Miguel Torga est un écrivain dont la prose, nourrie par les âges et burinée par les expériences, brûle sur son passage tout ce que la littérature contient de sophismes, de fourberies, de couardises et d’artifices”, a notamment écrit Jérôme Garcin. En savoir plus.