Petites Épiphanies

Traduction de Claire Cayron.

Janvier 2000

224 pages

Ibériques

978-2-7143-0737-8

16 €

En 1986, quand débutent ces chroniques, Caio Fernando Abreu a 38 ans. Il est déjà un écrivain reconnu : 6 de ses ouvrages ont été publiés. Les 62 chroniques réunies à titre posthume sous le titre Petites Épiphanies ont paru irrégulièrement, mais en moyenne mensuellement, dans le grand quotidien O Estado de São Paulo et dans le magazine Zero Hora à partir de février 1995 ; l’une d’elles, inédite, a pu être datée par son titre « Le jour des 59 ans de Vargas Llosa », soit le 28 mars 1995.

Ce qui frappe, à la lecture de ce recueil, c’est la liberté de sujet, et de ton. On imagine mal dans un quelconque grand quotidien français, un espace semblable longuement occupé, à la même époque et de semblable façon, par un écrivain connu.

L’inventaire des sujets abordés ne donne pas lieu à statistiques : on avance, dans cette lecture, “au petit bonheur“, et parfois au petit désespoir ou à la grande colère… Les chroniques sont en partie nourries par la vie intime de l’auteur et ses humeurs, du rose au noir, au gré de ses rencontres, de ses expériences, de ses enthousiasmes, et de ses pertes. C’est la fréquente évocation d’amis vivants ou disparus, tous noms connus du monde artistique latino-américaine Ce sont aussi des digressions ou divagations diverses : sur les rites de l’umbanda, sur la position du soleil dans le zodiaque, …

Un autre sujet de chronique est l’observation de la vie politique et économique du pays, particulièrement de la vie paulista, de la mégalopole où l’auteur a vécu durant une vingtaine d’années dans un mélange de fascination et de répulsion.

Enfin, Caio Fernando, qui avait beaucoup voyagé en Europe dans les années 70, a repris ses errances au temps où il se savait atteint par la maladie et condamné : certaines chroniques viennent de France, d’Angleterre, d’Allemagne, de Hollande, tous pays où il commençait à être traduit.

Maître de la forme courte, si florissante dans le monde latino-américain dont elle excelle à exprimer le permanent état d’alerte, Caio Fernando n’est pas gêné par l’espace contraint dans lequel il doit écrire comme chroniqueur : la contrainte le stimule au contraire. Partout, même dans le noir, on sent une jouissance d’écriture, d’écriture vers un lecteur.

Claire Cayron

Caio Fernando Abreu

Nouvelliste, romancier, scénariste, auteur dramatique et journaliste né en 1948 à Santiago do Boqueirão, petite ville de l’État du Rio Grande do Sul, frontalière de l’Argentine, qui figure dans son oeuvre sous le nom de Passo da Guanxuma. Son grand-père Manuel et son père Zaél étaient grands maîtres francs maçons ; sa mère professeur d’histoire et de philosophie.

Caio Fernando Abreu a commencé à écrire dès l’âge de 14 ans, à l’occasion d’un concours organisé par son lycée où fut couronné “La malédiction des Saint-Marie”, mélodrame situé dans un château des Pyrénées… En publiant ce récit en 1995, dans un recueil en forme de biographie littéraire intitulé en toute provocation : Brebis galeuses, l’auteur remarque malicieusement : “Le succès fut énorme : les filles faisaient la queue pour le lire (il n’y avait qu’une copie, écrite sur un cahier de la marque “En avant” avec un stylo Parker 51)”.

Après des études de Lettres et d’Art Dramatique à Porto Alegre et quelques publications en revue dès 1966, il s’installe à São Paulo de 1968 à 1994 et travaille comme reporter notamment à la revue Veja, puis comme rédacteur et chroniqueur au quotidien l’Estado de São Paulo. Mais les difficultés politiques et économiques de la vie brésilienne lui ont fait exercer bien d’autres métiers, notamment pour financer de nombreux voyages en Europe : il a été plongeur à Londres, modèle aux Beaux-Arts de Paris, etc.

Il a publié son premier recueil en 1970. Dans les deux dernières années de sa vie, il s’était retiré à Porto Alegre, capitale de son État d’origine ; il s’est alors consacré à la révision de l’intégralité de son œuvre.

Au bout d’une carrière arrêtée par le sida à l’âge de 48 ans, la bibliographie de Caio Fernando Abreu comporte 8 recueils de nouvelles, 2 romans, 7 pièces de théâtre toutes représentées, plusieurs scénarios et le recueil de ses chroniques dans le quotidien O Estado de São Paulo, de 1986 à 1995, sous le titre Petites épiphanies. Il a reçu dans son pays de nombreux prix et distinctions. Son œuvre est également traduite en anglais, italien et néerlandais.

En exergue de l’un de ses premiers recueils, il a placé cette citation du romancier Osman Lins : « Je trouvais beau, à l’époque, d’entendre un poète nous dire qu’il écrivait pour la même raison qu’un arbre donne des fruits. Bien plus tard seulement, j’en suis venu à découvrir que cette affectation était une imposture : que l’homme, forcément, se distinguait des arbres, qu’il devait connaître la raison de ses fruits, qu’il lui incombait de choisir ceux qu’il allait donner, et même de se demander à qui ils étaient destinés, en ne les offrant pas toujours mûrs, mais parfois pourris, et même empoisonnés ».

Admirateur de Clarice Lispector, qui l’appelait “Don Quichotte”, il est dit “biographe des passions” par son amie Lygia Fagundes Telles. Lui-même s’est ainsi défini en 1995, au bout d’une courte existence passée à guetter, éprouver et transcrire les avatars de la réalité : « Je suis un lieu commun incarné. Dans les années 50, j’ai fait de la moto et dansé le rock. Dans les années 60, j’ai été arrêté comme communiste. Puis je suis devenu hippie et j’ai tâté de toutes les drogues. Je suis passé par une phase "punk » et une autre « dance ». Il n’y a pas une expérience-cliché de ma génération que je n’aie vécue. Le sida est simplement le visage-cliché de ma mort."

Le recueil Petites épiphanies s’ouvre sur cette déclaration : « Quand tout paraît sans issue, on peut toujours chanter, je continue à le penser. Voilà pourquoi j’écris ».

Claire Cayron En savoir plus.

Presse et librairies

Né en 1948 au Brésil, mort du sida en 1996, Abreu a laissé une œuvre vive, colorée, qui, tout en formant la chronique parfois cruelle de son époque, semble touchée d’une grâce intemporelle.

Pierre Hild, Le Matricule des Anges, avril-mai 2001

… ce qui frappe dans ces pages c’est une forme étonnante de joie, de joie d’être encore au monde, et de courage au jour le jour.

Patrick Casson, Le Mensuel littéraire et poétique, Patrick Casson, n° 290

Ce n’est pas seulement la disparition précoce de l’écrivain, ni même sa cause qui rendent ce petit livre exceptionnel : la liberté, que souligne la traductrice Claire Cayron dans sa préface et qu’elle transpose parfaitement est saisissante.

René de Ceccatty, Le Monde des Livres, 3 mai 2001

Son originalité tient en partie à un anachronisme et à une incongruité : s’obstiner à être romantique au plus haut degré dans un monde désenchanté, tenter l’exploit d’associer à cette atmosphère sinistre une sensiblerie à la fois convaincante, assumée et éhontée.

Bernardo Carvalho, Namorar et mourir, Libération, 8 mars 2001