Le cours de l’eau
À chaque fois que l’eau apparaît dans un article du Code civil, elle pose problème : des voisins par exemple s’entredéchirent à cause d’une source, ou l’État ne sait pas bien comment classer les rivières et les fleuves. L’eau est source de complications, de litiges. Fluide, elle déjoue les catégories juridiques et trouble le Code, matrice de la propriété privée. En suivant ce fil, Grégoire Sourice s’empare du Code civil pour lui opposer d’autres logiques, d’autres récits, d’autres manières de nous rapporter à l’eau et aux choses. D’article en article, cette enquête propose une stimulante dérive dans le lexique de la loi, dérive au cours de laquelle on croise des alluvions, des révolutionnaires de 1789, une élégie, des poissons de toute sorte, des personnes décédées dont la vie infuse encore dans des objets. À la fois commentaire, autofiction, poème et enquête, Le cours de l’eau invente une forme elle-même fluide qui s’emploie à prolonger le trouble et dénaturaliser la propriété.
Presse et librairies
« L’idée de se focaliser sur l’eau est apparue assez simplement : plusieurs articles [du Code civil] parlent des fleuves et rivières, des sources, de la pluie, des animaux aquatiques… L’eau est source de litiges, à chaque fois elle semble poser problème. Fluide, elle déjoue les définitions rigides des catégories juridiques. Qui plus est, et particulièrement quand elle vient à manquer, on est généralement forcé de reconnaître que l’eau n’est pas un bien comme un autre. »
Grégoire Sourice dans un entretien avec Emmanuèle Jawad pour Diacritik, 23 avril 2024Grégoire Sourice trouve des brèches logiques, par où introduire le saugrenu et marquer les inconséquences du Code, en notant par exemple qu’il « soutient contre toute espèce d’évidence qu’un volatile est un immeuble. […] Le pigeon interroge le bien-fondé des institutions. » C’est là que l’auteur croise l’herméneutique et la pratique poétique du montage : on pense à Nathalie Quintane ou Emmanuel Hocquard, dans le jeu dérangeant des collisions de textes, où l’humour a une force politique corrosive.
Laurent Demanze, AOC, 15 mai 2024Ce qui frappe d’emblée dans ce livre de Grégoire Sourice difficile à classer dans un genre – traité de l’eau et poème, pamphlet (au sens strict de Littré un « petit livre de peu de pages ») et rêverie pensive, écrit parfois dissertatif, parfois dialogué, parfois fragmenté – c’est le caractère d’étrangeté des extraits du Code civil placés en tête des chapitres.
Jérôme Delclos, Le Matricule des Anges, mai 2023Comment exister dans ce monde régi par le Code où règne l’hégémonie de la propriété et où rien ne doit échapper au marché ? Faute d’avoir une réponse, laquelle ne saurait d’ailleurs être individuelle, l’auteur passe à l’action, sur le mode du happening : il va déposer au fond du jardin un exemplaire du Code « dont le volume et la couleur font penser à une brique » (celle que la dialectique peut ou ne peut pas casser ?) que la pluie ne manquera pas de retourner à l’état de pâte et de désagréger. Il contribue ainsi à la victoire finale de l’eau sans maître sur le Code, texte des maîtres, de leurs nomenclatures et dispositions.
Claude Grimal, En attendant Nadeau, 14 juin 2024Ce livre est un fabuleux mystère et une gageure.
Jean-Paul Gavard-Perret, Le Littéraire, 25 juillet 2024