La cité de paroles
Dans un dîner, il y a toujours un moment où l’on parle météo et un autre où l’on parle politique et un autre où l’on parle cinéma et un autre où l’on parle sexe. En France, en tout cas – et sans doute ailleurs aussi.
« De quoi avons nous eu l’air / à cancaner hier / à la table du dîner ? » demandait par exemple, James Schuyler (poète US) avec lequel il devait être si agréable de converser. Ou peut-être pas. Mais ses poèmes sont d’une tendresse qui rend la compagnie de leur auteur infiniment désirable.
La Cité de paroles voudrait être un livre en compagnie. Comme les convives d’un dîner, il vagabonde d’un sujet à l’autre, avec pas mal de sauts dans le passé ou à l’étranger. Le livre parle politique (existe-il un poème démocratique ?) et météo (pourquoi Pasolini aimait-il la pluie ? ) et sexe (la prostitution ou l’homosexualité sont-elles des formes qui aident le poème à s’inventer ?) et etc.
Mais en basse continue circule la même idée obsédante : les poèmes ne sont pas des choses sacrées ou ésotériques. Au contraire, ils sont des moyens de la conversation et du partage et du laisser-aller. Ils doivent s’efforcer d’être aussi futiles qu’une après-midi passée à la plage. C’est-à-dire que soleil & mer & odeurs d’huiles hydratantes : quelque chose dans l’allant de l’expérience (poétique) est partagé entre inconnus.
Presse et librairies
Comment s’orienter aujourd’hui en poésie ? Que faire du poème ? Telle est la question, kantienne (car théorique et « critique ») autant que léniniste (car « pratique » et politique), qui traverse ce recueil d’essais de Stéphane Bouquet. D’une écriture incisive, portant le fer au plus décisif des problèmes, bousculant pas mal des fausses évidences qui font le train-train des poétiques actuelles, le livre invite à porter un regard décillé sur ce qui compte vraiment en poésie – en poésie et bien au-delà, puisque pour l’auteur « créer de la vie » est la seule tâche qui vaille pour le poète.
Jean-Claude Pinson, 13 avril 2018 — SourceFaire commerce, engager la conversation : en assignant au poétique ces deux rôles (pôles ?), Stéphane Bouquet démontre à quel point lui est chère ce qu’on pourrait appeler une « agoraphonie », chant de place publique, chant public, brassage sonore, ou comment troquer rythmes et images en un bordélique marché. Là encore, on a envie d’inventer un mot pour décrire l’acte d’animer l’espace poétique : populer. Peupler/copuler. Faire s’ébattre le petit peuple des mots. La « cité de paroles », selon Bouquet, n’est pas que paroles citées. Elle est vie et vivier. Car elle recèle ce qu’il appelle, dans un des plus beaux textes du recueil, une « cache de douceur ».
Claro, Y mettre les formes, Le Monde, 27 avril 2018Convoquant tour à tour Pasolini, Leopardi, Whitman mais aussi bien Cavafis, Baudelaire et Gus Van Sant, Bouquet interroge chez chacun l’effleurement du poème sur le mot, la tendresse du langage quand il permet de trouver le monde après les mots autant qu’il dévoile son propre art poétique.
Johan Faerber, Entretien avec Stéphane Bouquet, Diacritik, 25 avril 2018(…) Ce que Bouquet demande à la poésie, il l’offre aux poètes qui forment son recueil. Ils affleurent comme ils s’effleurent, communiquent, se parlent, s’entendent. Il y a là un danger peut-être, celui de retomber dans cet injustifiable, déraisonnable et dangereux amour d’enfance dont parlait Platon. Mais n’est-ce pas le prix à payer pour que la poésie réintègre la Cité ?
Roger-Yves Roche, En attendant Nadeau, 24 avril 2018