Images du passé
Traduit du russe par André Markowicz
En France, Alexandre Soukhovo-Kobyline (1817-1903) est, disons, peu connu. Auteur d’une unique trilogie dramatique, Images du passé, il est pourtant l’auteur charnière entre Gogol et les absurdistes, et ce n’est pas pour rien que Meyerhold a monté ses œuvres six fois tout au long de sa vie.
Ses trois pièces, indissociables, explorent trois genres de théâtre et mettent en place un récit peu rassurant :
Dans la première, Le Mariage de Krétchinski (qui fut un triomphe à sa création, en 1855), Soukhovo-Kobyline met en place un vaudeville cruel : l’aventurier, le joueur Krétchinski séduit Lidotchka, la fille du riche propriétaire Mouromski, et, pressé lui-même par des créanciers, entraîne sa future belle-famille dans une escroquerie ratée.
La deuxième, Le Procès (1855-1862, interdite par la censure et jouée seulement après la révolution de 1917), oubliant Krétchinski, exploite les déboires judiciaires de la famille du vieux Mouromski, ruiné et finalement tué par les différents niveaux de bureaucrates à qui il doit donner des pots-de-vin. Jamais dans la littérature russe on n’avait vu un tableau aussi impitoyable d’un mécanisme administratif – un mécanisme tellement inflexible qu’à travers un comique toujours présent, la pièce prend des accents de tragédie grecque.
La troisième, La Mort de Tarelkine (1868-1869), oublie les Mouromski et se concentre sur un des fonctionnaires pourris, Tarelkine, lui-même tellement asservi par son chef, Varravine, qu’il essaie de changer d’identité, et de prendre celle d’un mort, pour lui échapper – mais le mort, lui non plus, n’était pas innocent. Il s’agit ici d’un genre nouveau, d’une sorte de tragédie bouffe, dans laquelle tous les personnages, pervers, détestables, grossiers, se livrent à une compétition sanglante – à qui sera le plus inhumain.
Une porte ouverte sur notre histoire, écrite « avec son sang », par un des auteurs les plus novateurs du théâtre en Russie.