Ginseng, la racine de vie
Traduit du russe par G. Welter
Postface d'Éric Dussert
Ginseng, la racine de vie voit le jour en 1933 et propulse Mikhaïl Prichvine parmi les plus célèbres raconteurs d’histoires panthéistes. En rupture totale avec les canons du réalisme soviétique de l’époque, le livre est une ode écologique et amoureuse émanant du cœur même de la taïga, un récit d’une rayonnante beauté servi par une langue pittoresque qui puise dans plusieurs dialectes et registres ethnographiques.
« Pas un seul des écrivains contemporains soviétiques ne sait, comme lui, voir et entendre les arbres, les animaux, les oiseaux, comprendre leur langage » écrivait Zamiatine de Prichvine . Il « n’étudie pas la nature ; il vit avec elle. S’il voit une source sourdre goutte à goutte d’un rocher, il dit “Je suis un être tel que je ne puis m’empêcher de me montrer compatissant, même pour une pierre lorsque je la vois pleurer comme un être humain” ».
Présenté alternativement comme un récit d’exploration à la Jack London – plein de grandes solitudes et d’animaux sauvages à domestiquer – et à la Kipling – on l’a comparé au Livre de la Jungle –, Ginseng est également un long poème en prose, la description d’une expérience spirituelle voire un conte dans lequel Prichvine réconcilie le réel et l’imaginaire, le rêve et le document, donnant au Grand Pan des gages étonnamment contemporains.
Presse et librairies
Aucune division de la vie n’apparaît chez Prichvine : il n’y a qu’un monde vivant en une extraordinaire fluidité où le végétal, l’animal et l’humain sont comme en continuité de conscience. Dans une humanité de fractures, il est urgent et tonique de lire Prichvine : d’entendre et de recevoir par lui l’appel de la vie […]. Pour Prichvine, chaque vivant (animal, végétal, ou même l’eau, la pierre) est non seulement une manifestation de la vie mais la représente même, en ses multiples incarnations, sous le battement d’un seul cœur comme sous l’appel d’une même exigence à ne pas la trahir.
Christian Mouze, En attendant Nadeau, 10 mai 2025La connexion toute physique, sensorielle, de l’homme avec son animalité, est d’autant plus précieuse qu’elle s’établit sur fond d’altérité radicale […]. La réminiscence olfactive provoquée par « une odeur de champignon particulièrement forte » s’accompagne d’une réminiscence auditive : le chant du ruisseau éveille l’orchestre et le chœur de « tous les êtres vivants ». La racine du ginseng représente « un homme nu », et c’est en humaniste que Prichvine, « avec (ses) collaborateurs inconnus ou célèbres », pénètre « peu à peu dans cette aube qui annonce pour les hommes une vie nouvelle, meilleure », sans ignorer qu’il est « tombé dans le pays de la révolution perpétuelle, où le soleil printanier provoque pendant la journée le mouvement de la sève dans les arbres, mais où, le soir, la sève dupée gèle, et l’arbre entier, de bas en haut, se fend sous l’action du froid ». La glaciation dure. La sève non dupe est patiente.
François Huglo, Sitaudis, 31 janvier 2025