Au-delà du crépuscule
Traduction de Jean-Pierre Krémer.
Postface de Alain Pozzuoli, illustré par W. C. Cockburn et W. Fitzgerald.
Ce recueil de contes, écrits pour son fils en 1881, peut paraître surprenant sous la plume de Bram Stoker, père de Dracula. Tout commence, à la première lecture, par faire illusion – loin, loin d’ici, existe un beau Pays que nul œil humain n’a jamais vu aux heures de veille – car voilà bien un étrange pays, situé au-delà du crépuscule où les petites filles triomphent des géants malfaisants, où le chiffre sept disparaît, où une rose a plus de pouvoir qu’une armure d’or, où le Poète part en quête de l’Être perdu. Pas de doute, nous sommes ici au pays merveilleux de l’enfance. Toutefois, comme chacun sait, le merveilleux n’est pas l’enfance mais l’expression fantasmée de celle-ci. La peur du sexe, l’éveil de la culpabilité, l’angoisse indicible et sclérosante, l’effroi de ce qui est vu quand les autres ne voient pas, l’éveil à la solitude essentielle : toutes ces choses se trament ici sans qu’on puisse d’abord les appréhender mais surprennent tout à coup comme les images indélébiles lorsqu’elles surgissent du for intérieur.
Comme le souligne Alain Pozzuoli, “en faisant la description d’une ville idéale gardée par les anges, Stoker semble avoir voulu refouler toute idée de sexualité. Mais, cependant, en arrière-fond subsiste toujours une idée de danger. La ville décrite dans Au-delà du crépuscule est bien en réalité une ville-prison à laquelle on n’accède que difficilement, une ville surprotégée, plongée dans une fausse insouciance, en permanence sur le qui-vive.
Une brève étude comparée des personnages, des bestiaires, des décors, des genres fantastiques tels qu’ils apparaissent dans Au-delà du crépuscule (œuvre prétendument angélique) et Dracula (œuvre diabolique avérée) conduit à interpréter les deux ouvrages comme complémentaires plutôt qu’opposés.”
Presse et librairies
C’est une heureuse surprise de voir publié pour la première fois en France, avec plus d’un siècle de retard, ce recueil de nouvelles. Chaque page révèle son auteur, ses goûts pour le merveilleux mais aussi ses angoisses face à la mort, à la maladie, aux mensonges. Le monde que nous décrit Bram Stoker n’a d’onirique que sa manière de s’imposer c’est-à-dire de s’improviser. L’heureuse collection de José Corti édite ici une œuvre originale.
Chronic’artDans ces pages un fond mythique est présent, non celui des Carpathes, mais celui de l’Irlande natale de Bram Stoker. Sinon la face diurne de l’auteur de Dracula, ces contes pressentent sa face claire, la plus claire du moins, ce qui n’implique pas qu’il faille les mettre dans les mains des enfants ; il s’en dégage en effet ce quelque chose de délétère lié aux même obsessions qu’il tente d’oublier sans y parvenir, qui est au moins aussi inquiétant (et plus sournois) que les ténèbres du prince des vampires.
Patrick Cassou, Le Mensuel littéraire et poétique N°264