Souvenirs désordonnés
Avec Souvenirs désordonnés, José Corti évoque son métier d’éditeur, ses rencontres, ses passions.
« Comme la terre est peuplée de plus de morts que de vivants, il se trouve dans ces pages plus d’ombres de disparus que d’amis auxquels je puis encore serrer la main. Je regrette d’avoir mal su, même un moment, rendre les couleurs de la vie à ces fantômes. C’est que j’ai si bien connu ceux qu’ils furent que, la moindre évocation me les rendant présents, tels que je les ai aimés, j’en viens trop facilement à croire que je les ai ressuscités.
Aujourd’hui, chers fantômes, je vous rends à votre paix. Je vous remercie de m’avoir tenu compagnie pendant que la boule roule et frappe à tort et à travers. Pour quelque temps encore, je retourne au monde – mais sans vous quitter jamais pourtant. Il me semble que l’on n’y parle qu’une langue morte et que cette langue morte ne redevient vraiment vivante qu’au cours de nos longs entretiens secrets. Je vous parle, j’apprends à vous parler sans le secours des mots, puisque c’est ainsi que se feront nos conversations quand je vous aurai rejoints et à jamais retrouvés.
Pendant plus de cinquante ans, j’ai rêvé un long rêve qui m’a révélé le bonheur ; mieux même, qui me l’a positivement donné. Le plus cruel des cauchemars l’a brusquement anéanti. Plus que dépossédé, il ne me reste désormais qu’à attendre la suprême émotion du réveil. »
José Corti
Presse et librairies
Notre époque n’aime rien tant que les originaux qui la boudent et les vertueux qui confirment la règle de ses bassesses. On a évidemment supplié cent fois Corti de publier ses Mémoires. Il avait tenu bon jusqu’ici, ayant peu de goût pour les à-côtés de sa passion ; et le voilà qui craque, pour notre bonheur. Dans ces cahiers remplis, voici vingt ans, de sa fine écriture, il rassemble ses souvenirs sans ordre ni ambition, comme il le fait, dans sa boutique, avec ses intimes.
Bertrand Poirot-Delpech, Le Monde, 1 juillet 1983