Octobre, octobre
Traduction de Marianne Millon.
D’Octobre, Octobre, auquel il travailla pendant vingt ans, José Luis Sampedro dit qu’il est son roman préféré et que ses véritables lecteurs sont ceux qui l’ont aimé. Le critique Roberto Saladrigas y voit un exploit consistant à faire entrer “une pyramide aztèque dans une boîte à chaussures”. Selon l’auteur, ce premier volume de la trilogie Les cercles du Temps évoque “le sombre dédale de l’initiation” avant les “certitudes assumées de la maturité” avec La Vieille sirène (publié en 1995 chez José Corti), qui fait revivre l’Égypte du IIIe siècle après J.C. et « l‘acceptation de la mort » avec Real Sitio qui met en parallèle l’Espagne de Carlos IV et celle des années trente, au début de la deuxième République.
Cet énorme roman en forme de puzzle se déroule à Madrid et met en parallèle deux époques, les années soixante et le milieu des années soixante-dix, fait se croiser et parfois se rencontrer, à l’intérieur de chacun des dix-sept chapitres qui le composent, une véritable fourmilière de personnages. Les protagonistes principaux de la première époque sont deux jeunes gens à qui il faudra l’espace du roman pour devenir un couple : Luis, de retour dans sa ville natale après un long éloignement et qui va prendre une chambre dans l’immeuble où vit Agueda, jeune fille tourmentée qui changera de nom en cours d’histoire pour devenir Agata. La deuxième époque, symbolique dans l’histoire du pays puisqu’elle se situe à une date charnière, mille neuf cent soixante-quinze, année de la mort de Franco, est centrée sur Miguel, écrivain de quatre romans (Sombre clarté, L’herbe pousse la nuit, La spirale vers l’intérieur et… Octobre, Octobre), dont le fils, compositeur célèbre, est mort dons un accident d’avion et à qui Nerissa, l’amour de sa vie, a été enlevée. Homme ou femme, chacun d’eux reflète un aspect, une période de la vie de José Luis Sampedro dans ce récit subtilement autobiographique, qui embrasse presque le siècle pour se resserrer sur les dernières années du régime franquiste. Madrid enfin, et tout particulièrement son cœur historique, celui de la Puerta del Sol et de la Plaza Mayor, où vivent, aiment et souffrent les différents protagonistes, apparaît comme un personnage à part entière : on sent combien Sampedro aime cette ville qui l’a à la fois tant fait souffrir sous la dictature et lui a apporté tant de joies.
Le roman s’ouvre le deux octobre mille neuf cent soixante et un sur le retour de Luis à Madrid après des années en Algérie. À cette occasion, il va effectuer un autre retour, sur lui-même cette fois, et se demander s’il lui est possible de composer avec le présent, de faire le choix définitif du passé ou de la vie qui palpite autour de lui. La rencontre avec Agueda, elle aussi à la recherche de son identité, bouleversée d’apprendre que son père, qu’elle prenait pour un héros républicain de la guerre civile, n’est en fait qu’un vulgaire escroc qui l’a abandonnée depuis l’enfance, sera déterminante. Miguel, l’écrivain, s’engage sur la voie du détachement afin de trouver une issue à son impossible amour.
Écrit dans une langue riche et dense, Octobre, Octobre multiplie les points de vue, les références à des périodes clés de l’histoire contemporaine de l’Espagne que reflète la propre vie de l’auteur, né en 1917. Signalons enfin la construction en spirale qui fait alterner les personnages et les époques sans jamais les superposer, ce qui affaiblirait l’ensemble, exemplaire, et qui témoigne à chaque instant de la capacité de renouvellement de l’auteur après La Vieille sirène.
Marianne Millon