Manuscrit trouvé à Saragosse
Nouvelle édition intégrale établie par René Radrizzani.
Du vivant de Potocki, seules furent imprimées les Journées 1 à 13, sous forme de placards non mis dans le commerce, et des extraits (Avadoro et Dix journées de la vie d’Alphonse Van Worden) dont l’authenticité est controversée, en tout environ la moitié du texte. En 1847, Edmond Chojecki publia à Leipzig une traduction intégrale en polonais, d’après un manuscrit qu’il tenait des archives de la famille Potocki et qu’il aurait ensuite détruit. Cette version connut quelques réimpressions. Le public français ne découvrira l’auteur qu’en 1958, grâce à la publication par Roger Caillois d’une partie (un quart environ) du roman. La présente édition, basée sur la totalité des sources accessibles (les imprimés, les autographes et copies manuscrites de fragments de l’œuvre et la traduction de Chojecki), restitue l’ensemble de l’œuvre dans sa langue originale, le français.
Arrivé en Espagne pour devenir capitaine des Gardes wallonnes, le jeune Alphonse Van Worden est entraîné dans une étrange aventure, qui prendra l’allure d’une épreuve initiatique. Pendant les deux mois qu’il passe dans la chaîne des Alpujarras, plusieurs personnes lui racontent l’histoire de leur vie, où interviennent les narrations que leur ont faites d’autres personnes qui relatent à leur tour les récits qu’elles ont entendus… et ainsi de suite jusqu’à une quintuple mise en abîme.
Mais le Manuscrit trouvé à Saragosse n’est pas seulement l’exemple classique du « roman à tiroirs », véritable labyrinthe ou kaléidoscope où les histoires et les destinées se reflètent les unes dans les autres : c’est aussi une somme romanesque de tous les genres : roman picaresque, histoire de brigands, roman noir, conte fantastique, roman libertin, conte philosophique, histoire d’amour, toutes ces formes s’entrelacent en un ballet féerique parfaitement réglé. Cette complexité n’est pas gratuite : le texte devient le miroir d’un univers à perspectives multiples, où coexistent des systèmes de valeurs, des conceptions religieuses et philosophiques, des sentiments de l’honneur apparemment incompatible. C’est la « modernité » apparente d’un texte qui, tel Gulliver, Don Quichotte et les grands romans du XXe siècle, transcende son époque et le genre du roman.