La peau de l’ombre
La peau de l’ombre s’appuie sur un constat : face à un réel de plus en plus privé de substance et devenu spectral, la seule démarche d’élucidation possible consiste non pas en un hypothétique approfondissement de ce qui n’a plus d’épaisseur, mais en une saisie patiente et minutieuse des linéaments et des surfaces, de la peau de ces ombres qui ont remplacé les vérités les plus assurées comme les illusions les plus anciennes. Cette approche à la fois critique et désirante permet à la fois de redonner chair et consistance à ce qui le mérite et de forger les armes nécessaires pour combattre ce qui nous spectralise.
Une telle démarche fait la part aussi belle à la rêverie qu’à la pensée conceptuelle et se traduit par un entrelacement de thèmes tissés au fil des années : le rêve, la révolte, l’enfance bafouée, la nécessité de la projection utopique, le sentiment de précarité de la présence au monde, se mêlent à des observations ironiques sur la vie atténuée de nos contemporains, coincés entre l’idéologie de la performance et l’apathie morale et passionnelle de l’homme banal.
La voix personnelle de l’auteur se fait entendre aussi bien à travers l’expression de ses partis pris, que dans ses réflexions plus théoriques comme celles qui concernent les problèmes liés au statut du sujet dans son rapport à la parole. Un ensemble de 410 fragments sans cesse reliés par un jeu d’échos intérieur qui en maintient avec force la cohérence.
Presse et librairies
Si les mots ont un pli, les hommes, les animaux, les objets ont une ombre. Les idées aussi ? Certainement. Mieux encore, cette ombre a une peau, Joël Gayraud l’affirme […] Et si le véridique, devenu spectral (d’autres diraient virtuel), a perdu toute épaisseur et toute substance, afin de comprendre le sens profond de cette perte il convient de saisir et de décrypter la peau des ombres qui se sont substituées au réel, c’est-à-dire à la vérité comme au rêve, à la révolte comme à l’utopie.
Alain Joubert, La Quinzaine littéraire