Au passage de l’heure
En manière de postface et dans sa toute dernière ligne, mais comme en suspens entre mots venus et mots à venir, Robert Davreu nous dit :
« La nuit serait éternelle sans la nuit. »
Telle est bien la formule palimpseste de ce nouveau recueil : au passage de l’heure où le poète nous invite à la parthénogenèse de toutes nos ténèbres. Les mots doivent naître des mots, la nuit doit surgir de la nuit car les uns sans le (re)doublement des mêmes (re)formulés, les unes sans le passage à témoin des mêmes un rien éclairées sont encore plus vains que toutes nos vanités.
Qu’il en appelle au temps – souvent flou – (« entre deux époques de glaciation imprécise »), qu’il en appelle à l’histoire (« L’ombre cathare se retranche »), qu’il en appelle à l’espace (« en tous horizons tous ailleurs »), toujours le (nous) taraude la question au cœur même de l’appel :
« Qui étaient-ils tous ces soleils contraires
dans l’outremer d’un temps impartagé ? »
Quelle aube s’agglutine aux cheveux noirs des dunes
quand au tour de compas d’une peur dérisoire
le cœur se rapetisse et, géomètre aveugle,
cherche l’impasse d’une passe éteignant
la passion du large ?
Serait-ce que l’heure n’est plus à rien,
plus même à la secrète compassion
d’une guerre muette et solitaire
où chaque pas invente Une autre carte
avant de s’effacer ?
Serait-ce que l’argile a fini de durcir
et fini d’avoir soif comme ces centenaires
aux paupières d’iguanes dans un masque recuit
et prêt à s’écailler
au moindre souffle reconnu ?
Serait-ce que la nuit est beaucoup trop précise
qui donne à lire le cristal de l’estran,
quand le jour fige et brouille les vignes
et nomme réel le néant
de ses garde-fous et balises ?
Presse et librairies
Nous sommes loin de toute envolée lyrique dans l’univers de Robert Davreu. Et de toute rhétorique. La voix qui en émane est rauque – rocailleuse. Le paysage mental qu’elle nous fait découvrir est un monde de désagrément, de questionnement sans fin, de visions insoutenables. Adieu saisons, adieu châteaux, adieu toute poésie qui charme et console : nous sommes plongés dans la gravité d’images blessantes, d’idées qui salissent, de temps qui corrodent et corrompent. Et le ressassement est le métier à tisser du sens, comme le ressac d’une mer qui n’est plus rien de fascinante ; c’est la machination de la perte et de la révélation de perte, du sens qui fuit, de la raison qui s’égare, d’anabases conduisant au néant. (…)
Verso N°28, octobre 2002