Algernon Charles Swinburne
Algernon Charles Swinburne (1837 - 1909) est un poète britannique. Il a inventé, dérivée du rondeau, la forme du roundel, et contribué à l’édition de l’Encyclopædia Britannica. Il fut nommé pour le prix Nobel de littérature chaque année de 1903 à 1907 et en 1909.
Algernon Charles Swinburne naquit en 1837 dans une vieille famille aristocratique. Persuadé que l’un de ses ancêtres avait apporté son aide généreuse à la cause perdue de Marie Stuart, personnage fatal à qui il consacra une trilogie théâtrale, il fut très attaché à la réputation héroïque ou chevaleresque de ses ancêtres ainsi qu’à leur haute noblesse. Il vénérait son grand-père, qui avait longtemps vécu en France où il s’était lié d’amitié avec Mirabeau et qui symbolisait pour lui l’attachement à la liberté. L’esprit de la révolution et la haine des tyrannies devaient plus tard être le thème principal de Chants d’avant l’aube (1871). Il n’y avait d’ailleurs pas pour Swinburne de contradiction entre les idéaux aristocratiques et les convictions révolutionnaires, celles-ci s’inscrivant d’une part dans le mythe de son idéal familial et d’autre part dans la tradition littéraire transmise par les poètes romantiques.
Attiré par l’univers viril et actif de son père, l’amiral Swinburne, mais clairement dissuadé par lui de faire une carrière militaire, le jeune Algernon, en même temps, fut pris et perverti par une très forte relation œdipienne à sa mère avec qui il entretenait un rapport de fascination ; en 1893 encore il lui adressait ces mots enflammés : “Vous eûtes et toujours aurez le visage le plus ravissant, le plus délicieux qui soit”. Cultivée et raffinée elle sut séduire son fils, lui enseigna le français et l’italien, lui fit découvrir la littérature élisabéthaine – passion durable pour le poète – et apprécier l’art. Autoritaire et puritaine elle n’autorisait la lecture de Shakespeare que dans une édition expurgée, et fit promettre à Swinburne de ne jamais lire Byron – promesse qu’il ne tint qu’un temps ! Incapable d’aimer, ou de haïr, une autre femme qu’elle, le poète ne put jamais entretenir avec les femmes que des relations imaginaires, sublimées dans des rêves de souffrances et symbolisées par son goût fétichiste pour les femmes fatales, telles Marie Stuart, Lucrèce Borgia ou Vénus, ce qui ne faisait que masquer ses tendances homosexuelles et conforter sa perversion sado-masochiste.
La jeunesse de Swinburne se passa en partie dans les domaines paternels du Northumberland, paysages romanesques battus par les rythmes de la mer et des vents, hantés par des légendes médiévales et des ballades populaires. C’est leur phrasé lancinant que le poète tenta plus tard de retrouver dans ses propres ballades
En 1849, il partit pour Eton où il fit l’expérience de la flagellation, alors considérée comme une méthode d’éducation banale. Mais bien plus qu’une épreuve inévitable, ce fut plutôt pour lui une rencontre signifiante, abondamment décrite, avec ses affres et la jouissance qui y était liée, dans son roman inachevé Lesbia Brandon. Ce n’était plus simplement la flagellation de la houle ou le fouet de la mer, c’était la révélation de ce que Mario Praz décrit comme le “vice anglais” et dont Swinburne devait plus tard faire son ordinaire, dans ces établissements spécialisés décrits par Péladan dans Scandales de Londres
Eton fut aussi un lieu de travail. Swinburne y lut les poètes et dramaturges latins et grecs – Sappho appréciée pour sa réputation, certes, mais aussi pour son lyrisme qui plus tard lui inspirèrent Anactoria, les grands tragiques dont il tâcha de retrouver les accents dans Atalante à Calydon (1865). Il lut aussi les élisabéthains – Shakespeare, Marlowe, Ben Jonson, Cyril Tourneur – dont on sent l’influence sur Rosamond (1860) et Chastelard (1865), les romantiques tels Keats dont il imita la musique et Shelley dont il aimait l’ardeur et l’engagement. Ce fut aussi la découverte de versificateurs et défenseurs de la loi poétique comme Pope ou Dryden. Entré à Oxford en 1856, Swinburne y approfondit encore sa culture littéraire. Il y fit également des rencontres déterminantes, se liant par exemple avec un patriote italien, Aurelio Saffi, ou avec les préraphaélites, Dante Gabriel Rossetti, John Everett Millais et William Holman Hunt. Il écrivit à Oxford quelques sanglantes tragédies néo-élisabéthaines, et publia à Londres, en 1860, après avoir quitté l’université sans diplôme, Rosamond, selon ses propres termes « aquarelle de Rossetti traduite en vers ».
D’autres lectures furent également essentielles : Baudelaire et ses Fleurs du mal, Victor Hugo et Sade, découvert en 1861, et dont la manière et la théorie satisfaisaient la perversion de Swinburne à laquelle s’ajoutait désormais une tendance à l’alcoolisme de plus en plus prononcée. En 1865, Atalante à Calydon connut un grand succès, malgré la virulence de son athéisme déclaré, et cette année vit aussi la publication de Chastelard, premier volet d’un triptyque consacré à la reine d’Écosse, plus tard suivi de Bothwell (1874) et de Marie Stuart (1881). C’est cependant Poèmes et Ballades (1866) qui devait tisser les destinées littéraires de Swinburne, admiré par ses amis, vilipendé par la société qui cria au scandale. Évoquant cette haine, le poète regretta de ne pas avoir écrit en exergue à son volume ces vers de Théophile Gautier :
J’en préviens les mères de famille
Ce que j’écris n’est pas pour les petites filles,
Dont on coupe le pain en tranches ; mes vers
Sont des vers de jeune homme.
Recueilli, à demi-mourant, par l’un de ses amis qui l’arracha aux plaisirs mortels du fouet et de l’alcool, celui qui avait été un poète scandaleux et qui avouait désormais regretter ses “péchés de jeunesse”, maintenant séquestré volontaire et muré dans sa surdité, devait vivre jusqu’en 1909.
Extrait de la préface du traducteur, Pascal Aquien.