Rencontres avec Sadegh Hedayat
Traduit du persan avec la collaboration de Frédéric Farzaneh
Dans ses Souvenirs désordonnés, José Corti était revenu sur l’étrange fascination que le récit de Sadegh Hedayat, La Chouette aveugle, avait exercé sur lui, et exerçait sur tous ceux qui, après lui, le découvraient : « C’est un livre d’une atmosphère lourde, oppressante, dans lequel le maléfice d’un rêve s’insinue dans la réalité, l’enveloppe, se noue à elle – et l’écrase. Ce n’est pas un cauchemar que narre un conteur habile, mais une obsession que celui-ci fait partager et à laquelle je ne sais pas que le lecteur ait jamais pu échapper. » Si ce n’est l’épisode de son suicide à Paris, le 9 avril 1951, personne ne savait rien de cet écrivain iranien, « figure à part et unique dans l’histoire des lettres universelles », selon le point de vue de son éditeur. La publication du livre de M.-F. Farzaneh va malmener quelque peu la légende dont certains ont cherché à entourer l’auteur de La Chouette aveugle, mais elle va raviver la flamme de ses admirateurs, lesquels viendront plus nombreux encore fleurir sa tombe au Père Lachaise.
Élève et ami de Sadegh Hedayat, durant les dernières années de sa vie, M.-F. Farzaneh (auteur de La Maison d’exil, Phébus 1990) s’est proposé de mettre en scènes leurs rencontres à Téhéran, puis à Paris, la dernière précédant de quelques jours le suicide de l’écrivain. Rapportées sous la forme d’un dialogue où l’esprit sarcastique, l’humour féroce de l’écrivain font merveille, ces rencontres nous fournissent maints détails sur sa vie privée, ses prises de positions sociales et politiques, ses préférences littéraires, et jettent sur son œuvre un éclairage saisissant.
Dans un Iran sclérosé, Hedayat nous apparaît comme un écrivain offensif, à la curiosité infatigable mais déchiré entre, d’une part, ses intérêts pour les religions de la Perse antique, les superstitions et pratiques de magie populaire qui en dérivent et, d’autre part, ses affinités intellectuelles avec quelques-uns des représentants de la modernité européenne (il a traduit Kafka en persan). Cet « Enterré vivant », qu’on nous avait dépeint comme un « suicidé en sursis », se révèle, sous la plume de Farzaneh, un esprit entreprenant et combatif. Car Hedayat doit se battre à chaque moment de sa vie et sur tous les fronts : contre le fanatisme religieux (il nommait les religieux enturbannés des « têtes de chou »), les pensées réactionnaires, les superstitions archaïques. Et fait sans précédent dans la tradition iranienne : Farzaneh se permet de mettre à jour la vie privée, quotidienne, de son Maître, et la sienne dans la même circonstance. Interdit en Iran, mais lu sous le manteau, son livre est considéré par les critiques de son pays comme « un des plus grands apports dans l’histoire de la littérature persane » (revue Adineh n° 65-66).
Presse et librairies
(…) Un livre magique où Sadegh ressuscite sous nos yeux, avec sa hargne désespérée, ses manies de vieux garçon, son humour amer, son goût pour les canulars et sa certitude que le pire est non seulement certains, mais souhaitable. J’ai commencé, dira-t-il, mon agonie à vingt ans. Le livre de Farzaneh est une invitaition unique pour assister au grand spectacle de la dérision. Ne le ratons surtout pas !
Roland Jaccard, Au Cabaret du néant, Le Monde, 19 mars 1993